Ce sont par les mots du poème de Verlaine « Mon rêve familier » que s’ouvre le nouveau film de Barbara Bui présentant sa collection automne-hiver 2024/2025.


Ces vers qui dessinent le portrait d’une femme inconnue « qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend » sont une mise en abyme parfaite de la femme BB : multiple, libre, singulière. Différente. Mystérieuse et familière à la fois. Jamais là où on l’attend.

Baptisé « Another look », ce film signé du directeur artistique et réalisateur Nicolas Boualami met pour la première fois en scène la créatrice elle-même, filmée au plus près de ses vêtements. Elle est accompagnée d’une constellation de talents, amis de la maison, qui incarnent, chacun à sa manière, l’esprit libre et irrévérencieux de Barbara Bui. Pensé comme une chorégraphie, rythmé par le son du titre « My name is trouble » de Keren Ann, un chassé-croisé d’identités, de personnalités, de moi(s) et de sur-moi(s) s’invite à l’écran, dans un jeu de travelling.

Seize femmes et trois hommes racontent l’histoire d’une attitude, résolument libre. Qu’ils soient scénaristes, réalisateurs, acteurs ou musiciens, qu’ils s’appellent Laura Smet, Valérie Donzelli, Romain Brau, Benjamin Siksou, Irène Jacob, Pascale Arbillot, Keren Ann, Clarisse Tranchard, Fanny Herrero, Laurence Benaim, Edouard Prevot, Émilie Villa, Eliane Umuhire, Léonie Dahan Lamort, Vanessa Filho, Aure Atika, Lolita Chammah, Pauline Jacquard ou Constance Arnoult... tous ces personnages reflètent le style Barbara Bui, sans jamais se départir de leur identité. 

On y croise le vestiaire fétiche de la créatrice – perfecto, ensemble en velours, pantalon en cuir, veste oversized, etc – et le noir en vedette, tout ce qui fait l’essence de sa mode signature.

Nicolas Boualami et Barbara Bui se sont prêtés au jeu de L’interview croisée.

COMMENT VOUS ÊTES-VOUS RENCONTRÉS TOUS LES DEUX ?

Barbara Bui : Nous avons travaillé ensemble sur notre projet de portfolio qui présente des femmes amies de la maison qui partagent notre idée d’une mode émancipatrice. Nicolas comprend ma vision de la mode, et connaît très bien mon travail, il était naturel pour moi qu’il réalise l’un de mes films, et que nous poursuivions ainsi notre collaboration.

Nicolas Boualami : J’aime l’esprit authentique de cette maison, le fait que l’on travaille dans l’échange et le partage, que ce ne soit pas seulement un processus mercantile, comme c’est souvent le cas dans la mode... Chez Barbara Bui, il y a un côté familial et généreux qui me fait penser à ce que je pouvais trouver chez Alaïa, il y a longtemps. De la simplicité. Entre Barbara et les talents, il y a un rapport naturel d’artiste à artiste qui s’instaure. Ce qui me plaît dans les vêtements Barbara Bui c’est avant tout qu’ils « travaillent », ils sont actifs. Ils accompagnent les artistes dans l’exercice de leur métier, sur scène, sur un tournage, lors une conférence...
J’avais très envie de mettre tes vêtements en mouvement, à l’écran.

COMMENT AVEZ-VOUS ENVISAGÉ VOTRE COLLABORATION SUR CE FILM ?


Barbara Bui : Nicolas a tout de suite saisi mon rapport au partage, à la transmission et ma volonté d’accompagner les femmes dans leur vie. J’ai aussi l’impression qu’il me comprend, moi en tant que personne, au-delà de mes vêtements. C’est une rencontre humaine, et je pense que c’est aussi ce que le film donne à voir, une compréhension mutuelle, au-delà de ma mode.

Nicolas Boualami : J’avais surtout très envie de te filmer ! Ce film est un prétexte pour te connaître davantage. Actuellement, il y a très peu de femmes qui sont créatrices et à la tête de leur maison. On sent une actrice en Barbara, elle est très inspirante et ne ressemble pas à ce qu’on imagine d’une créatrice de mode aujourd’hui. Elle est authentique, rien n’est feint chez elle. Et elle est vraiment rock ! Elle porte ce qu’elle est, et elle nous donne à porter ce qu’elle est. J’adore voir les artistes essayer un de ses vêtements et se sentir d’un seul coup transformé, mais sans s’éloigner de ce qu’ils sont déjà. Ils enfilent une veste et on a l’impression qu’elle leur appartient
depuis longtemps.

AU SENS OÙ, EN PORTANT LES PIÈCES BARBARA BUI, ON NE SENT PAS DÉGUISÉ...


Nicolas Boualami : Il n’y a aucun travestissement possible. La mode Barbara Bui c’est avant tout un mode de vie. Ses vêtements se tiennent, ils sont structurés-structurants mais jamais ils n’écrasent. Ils protègent comme une armure, une carapace. Sa mode
rend les femmes puissantes et elle les accompagne dans cette force, sans être clivante. La mode Barbara Bui n’impose pas.

Barbara Bui : Souvent les femmes que j’habille me disent que mes vêtements leur donnent une force. Mais, en fait, cette force elles l’ont déjà en elles ! Ma mode agit comme un révélateur. Les artistes ont justement besoin d’être avant tout eux-mêmes, l’idée n’est surtout pas de les déguiser en « bêtes de mode ». Ce que je recherche c’est la justesse, le bon équilibre pour accompagner sans écraser.

Nicolas Boualami : Ce sont des pièces qui n’entravent pas. Je suis toujours étonné par les vêtements muséaux qui nous empêchent de marcher ou de bouger librement...
C’est très beau mais ce n’est pas la vie. C’est très important d’accompagner les femmes sans les entraver, ni les cadenasser. Ce que je voulais montrer aussi dans le film, c’était le mouvement et l’émotion. C’est le vêtement qui suit le talent et ce n’est pas le talent qui suit le vêtement. On peut bouger, danser, vivre dans les vêtements Barbara Bui !

QUELLE EST L’IDÉE PRINCIPALE DU FILM ?

Nicolas Boualami : Dans ce film, j’avais envie de montrer 24h de la vie d’une femme
Barbara Bui . Une femme multiple, changeante mais toujours elle-même. En perfecto rock à 16h. En escarpins à 17h. En ensemble velours à 18h... Nous avons réuni seize femmes et trois hommes. Nous ne voulions faire ni d’âgisme ni de jeunisme. Je voulais aussi créer un mouvement entre ces différents portraits pour montrer qu’ils ne s’opposent pas, au contraire ils sont liés. J’ai l’impression que toutes les femmes qui achètent un vêtement Barbara Bui sont Barbara et que Barbara est aussi toutes ces femmes. Et puis, je ne pouvais pas montrer tes vêtements sans montrer d’où ils venaient, cela me paraissait étrange. Mais je n’étais pas sûr que tu acceptes d’être filmée !


BARBARA, ON VOUS VOIT À L’ÉCRAN POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS UN DE VOS
FILMS. COMMENT AVEZ-VOUS VÉCU CETTE EXPÉRIENCE ?

Barbara Bui : Au départ, lorsque Nicolas m’en a parlé, j’étais un peu circonspecte. C’est vrai que je suis assez discrète, ce qui ne m’empêche pas de mettre toute ma force dans mon message, dans mes vêtements. J’ai décidé de lui faire confiance et de me montrer un petit peu plus, toujours dans cette idée de partage, de transmission.

LE FILM EST AUSSI FIDÈLE À VOTRE VISION DE LA MODE QUI EST AVANT TOUTPOUR VOUS UN MOYEN D’EXPRIMER SON IDENTITÉ, EN TOUTE LIBERTÉ. QUITTE ÀCHANGER, MÊME AU COURS D’UNE JOURNÉE.

Barbara Bui : Nous voulions réunir une diversité de personnalités, toutes générations confondues. Ma mode revendique le droit à la différence et à la versatilité. C’est une ode à la liberté. J’aime l’idée que l’on puisse exprimer toutes les facettes de sa personnalité, sans être enfermé dans un uniforme. On dit que ma mode est rock, c’est vrai, mais elle est aussi pleine d’autres choses. J’ai toujours voulu cultiver la force des contrastes, des paradoxes que nous avons à l’intérieur de nous. Ce qui compte pour moi c’est la liberté individuelle. Je déteste les cases. Dans le film, les filles se retournent et disent « oui, et alors ? ». Elles sont comme ça, un point c’est tout. Personne ne doit se sentir assigné à un rôle. Mes costumes masculins sontaussi hyper-féminins, j’aime avant tout le mélange des genres. C’est aussi pour celaque l’on a tenu à ce qu’il y ait des hommes dans ce film.

Nicolas Boualami : Ces femmes pourraient être ces garçons à des moments de la journée. Nous avons choisi des hommes (Romain Brau, Edouard Prévot, BenjaminSiksou) qui expriment une forme de féminité ou de vulnérabilité.

Barbara Bui : Les hommes ont aussi le droit à la sensibilité et à la féminité.

COMMENT AVEZ-VOUS CHOISI LES PIÈCES QUI FIGURENT À L’ÉCRAN ?

Barbara Bui : Il y a des pièces phares de ma collection automne-hiver 2024/2025 mais quelques pièces d’archives font aussi des incursions. J’ai l’impression de faire une mode qui ne se démode pas vraiment. On peut très bien porter des vêtements
que j’ai faits il y a dix ans et qui sont toujours actuels. J’aime le côté pérenne des choses, le fait de ne pas pouvoir dater une pièce. Et puis, les gens mettent aussi beaucoup d’eux-mêmes dans mes vêtements, et ils finissent par ne plus pouvoir s’en séparer. Il y a un lien sentimental et émotif qui s’installe. D’où l’idée de les accompagner dans leur vie. J’ai aussi voulu présenter des pièces très identitaires de mon vestiaire, comme les modèles en cuir, les vestes d’hommes, les pantalons en velours...

Nicolas Boualami : D’une collection à l’autre, les vêtements se répondent, il y a une forme de filiation vestimentaire. Ce que j’aime dans les vêtements Barbara Bui c’est que les femmes qui les portent se séduisent elles-mêmes avant de séduire les autres. Aujourd’hui, il faut être dans une représentation permanente. Quand on se regarde et qu’on se plaît, il est plus facile d’être à l’aise avec les autres. Les vêtements Barbara Bui sécurisent, on sait qu’ils nous vont ! On est dans une époque où on se regarde beaucoup. Toute la journée, on attend un like qui dit je t’aime, on a besoin d’être validé mais quand on est validé par soi-même, on se libère déjà d’un grand poids...

BARBARA VÉRIFIE LE BIEN-ALLER DES PIÈCES SUR LES MANNEQUINS STOCKMAN,ON VOIT LES ACTEURS FERMER LES BOUTONS D’UNE CHEMISE, PASSER LA MAIN SURLE TISSU... ON RESSENT UN RAPPORT QUASI CHARNEL AUX MATIÈRES. COMMENTAVEZ-VOUS RECRÉÉ CETTE SENSORIALITÉ ?

Nicolas Boualami : J’aime bien l’idée du vêtement seconde peau, ça me fait toujours sourire quand j’entends : « ce vêtement je ne peux plus le quitter ». Mais ce qu’on ne peut pas quitter c’est sa peau ! Quand on adopte une pièce Barbara Bui , c’est toujours très immédiat. Spontané. Les actrices se regardent et disent d’un seulcoup « voilà ! ». Cela relève du coup de cœur, on n’est pas obligé de rester 5 heures devant le miroir pour être sûr que ça nous va.

AUJOURD’HUI ON N’A PLUTÔT LE SENTIMENT QUE LES DIRECTEURS ARTISTIQUES FABRIQUENT DES IMAGES PLUTÔT DES VÊTEMENTS... MAIS FAIRE LA MODE C’ESTAVANT TOUT CONCEVOIR DES VÊTEMENTS !

Barbara Bui : Les films me permettent de montrer cette intimité-là, ce rapport à la matière, à l’objet. On peut observer les détails, les envers de cols, les intérieurs des vestes... Avec les défilés, on voit des mannequins clonés mis sur un piédestal, à distance des gens, on perd ce rapport intime avec les vêtements.

L’IDÉE DE MULTITUDE DE LA FEMME BB S’INCARNE DANS LE CHOIX DU POÈME DEVERLAINE QUE BARBARA LIT AU DÉBUT DU FILM...

Nicolas Boualami : Je pense que la mode Barbara Bui est très littéraire. Et puis, j’adore ce poème. Lier Barbara Bui et la poésie, cela me semble si naturel.

Barbara Bui : Quand j’étais jeune, je voulais écrire mais finalement la mode est devenue mon écriture, mon vocabulaire. C’est à travers llee que je m’exprime aujourd’hui.

Nicolas Boualami : La mode Barbara Bui est aussi très musicale et c’est aussi pour ça qu’intuitivement on l’associe au mot « rock ». Comme Karl Lagerfeld, Barbara est une rockstar qui n’a pas fait d’album. Ses albums sont ses collections.

LE FILM MONTRE DES VISAGES EN GROS PLANS. POURQUOI CE CHOIX ?

Nicolas Boualami : Je pense que le vêtement amène au visage. Les vêtements de Barbara sont comme des portes d’entrée, ils donnent envie d’aller à la encontre d’une personne. Barbara Bui : Dans le film, la force des regards compte beaucoup. Quand les gens nous regardent dans les yeux, ils nous donnent une part d’eux-mêmes. Le regard de Laurence Benaïm est ainsi, par exemple, très émouvant dans le film.

POURQUOI AVOIR CHOISI LE TITRE DE KEREN ANN « MY NAME IS TROUBLE » EN
BANDE-SON ?

Nicolas Boualami : J’ai toujours beaucoup aimé ce titre et la part de mystère, de folie qu’il contient. Sous ces femmes très structurées, il y a peut-être la promesse de quelque chose d’un peu fou.

Barbara Bui : Un tailleur Barbara Bui peut protéger mais on ne sait jamais ce qui se cache derrière !


Barbara Bui, c’est le feu sous la glace !

TALENTS
Pascale Arbillot, Constance Arnoult, Aure Atika, Romain Brau, Laurence Benaim, Lolita
Chammah, Léonie Dahan Lamort, Valerie Donzelli, Vanessa Filho, Fanny Herrero, Irene Jacob, Pauline Jacquard, Keren Ann, Edouard Prevot, Benjamin Siksou, Laura Smet, Clarisse Tranchard, Eliane Umuhire, Émilie Villa.